Centrafrique : Covid 19, entre une redynamisation de la lutte et la négligence de la population BANGUI, 08 mai 2020 (RJDH)---Déclarée le 14 mars
Centrafrique : Covid 19, entre une redynamisation de la lutte et la négligence de la population
BANGUI, 08 mai 2020 (RJDH)—Déclarée le 14 mars 2020 en Centrafrique, la pandémie du Covid-19 progresse dangereusement alors que le système de santé connait des dysfonctionnements. Manque d’infrastructures et matériels de soins, problème de coordination, non-respect des mesures barrières par la population ainsi que par les agents de l’État, légèreté au début de l’épidémie dans le contrôle des voyageurs à la frontière, soupçon de mal gérance des fonds… c’est dans ce climat que le pays doit faire face à une pandémie qui court à une vitesse exponentielle.
Dossier de Fleury Venance Agou et Fridolin Ngoulou
Ignorance/négligence de la maladie par la population ou théorie de complot ?
Après Wuhan (Chine) ou est apparue pour la première fois en décembre 2019 le Covid-19, la maladie s’est vite propagée dans le monde et a été qualifiée de pandémie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) le 12 mars 2020. Des mesures de prévention ont été prises et des consignes ont été édictées par les autorités de chaque pays jusqu’au confinement de la population.
S’agissant de la République Centrafricaine (RCA), pays enclavé, le premier cas de contamination a été déclaré le 14 mars et le point de la situation dans la soirée du 07 mai est de 118 cas positifs dont dix guéris. A l’instar des autres pays du monde, des dispositions ont été aussi décidées.
Cependant, en dépit du matraquage médiatique, des sensibilisations de proximité, « nous avons l’impression que la population ignore/néglige vraiment la maladie ».
Déni ? Non, mais plutôt négligence. Car, les campagnes à grande échelle sont menées à grand tambour. Alors, on peut donc noter que la population dénie la maladie, car croyant au préjugé que « microbe a fa zo voucko pèpè » (le microbe ne tue pas le Noir). Une croyance stéréotype répandue à Bangui.
Pareillement, à lire les commentaires sur les réseaux sociaux, le nombre de personnes malades du Covid-19 et la gestion de la crise suscite interprétations ou grilles de lecture de nature complotiste. « Il faut que les autorités de la R.C.A arrêtent de paniquer la population pour rien. Il n’y a pas coronavirus là. On connait leur complot avec l’OMS. Paniquer la population pour leur faire peur puis introduire leur poison pour détruire les vies. Voyons à quelle vitesse le corona se propage en Chine, France, Italie, USA etc. Mais à Bangui la propagation c’est à pas de tortue. Il n’y a pas coronavirus », a affirmé Virgile Junior Ngo Kokesse dans un commentaire à un post. Mais Odilon Maurice Ouakpo pense le contraire : « Théorie de complot? Non, c’est plutôt le fiasco du complot » a-t-il relevé.
A l’instar des autres observateurs, il a déploré la gestion de l’épidémie en Centrafrique qui est un « fiasco ». Le Ministre de la Santé, Pierre Somsé a reconnu cela en affirmant à lemonde.fr que des «conducteurs ne voulaient pas se faire tester, poursuit le ministre, en raison des préjugés qui se sont répandus, ils avaient peur qu’on leur inocule un vaccin ».
En somme, « l’attitude et le laxisme de certaines autorités renforcent le déni de la maladie par une grande majorité de la population », a déclaré un observateur de la société centrafricaine.
Enfin, « certaines personnes sont littéralement convaincues que la Covid-19 n’est réservée qu’aux occidentaux et que l’africain est en quelque sorte immunisé contre cette maladie », a rapporté dans un article publié par le site talato-covid19.kligao.com.
Carence dans la coordination de la lutte contre le coronavirus
La coordination de la lutte contre le coronavirus pose encore problème. Dans ce contexte où le pays traverse une crise sanitaire avec des conséquences sur plusieurs secteurs, l’absence de coordination freine l’élan d’une lutte véritable.
Depuis la déclaration de la pandémie du Covid19 dans le pays le 14 mars 2020, le président Centrafricain avait mis en place trois cellules pour coordonner la lutte : Une cellule stratégique qu’il préside ; une cellule technique placée sous l’autorité du Chef du gouvernement, Firmin Ngrebada ; une cellule scientifique pilotée par le Ministre de la santé avec les partenaires intervenant dans le secteur de la santé.
Touchant tous les secteurs et qui prenant une dimension humanitaire très importante, des démembrements ont été opérés au niveau sectoriel. C’est-à-dire que chaque département ministériel doive proposer des plans sectoriels de lutte. Au niveau préfectoral, des sous-comités dirigés par des représentants de l’Etat sont opérationnels y compris le comité de sensibilisation, chapeauté par le Maire de la ville de Bangui, Emile Gros Nakombo, qui a été testé positif au Covid-19.
Des informations en notre possession font état d’une machine encore très lourde qui peine à bien démarrer. Ces comités éprouvent un réel problème de coordination car chaque département ministériel se focalise sur son plan sectoriel. Le secteur de la santé, qui est d’ailleurs très large souffre également de cet handicap de management général. Des ONG intervenant dans le domaine de la santé alors coordonnées par le Ministère de l’action humanitaire doivent en même temps suivre la politique et les directives de ces deux secteurs.
Depuis au moins deux semaines, le Sitrep, un outil des acteurs humanitaires pour la mise à jour de la lutte contre cette pandémie ne parait plus. Le dernier numéro remonte au 11 avril 2020. Après ce 6e numéro, des sources humanitaires confient avoir souffert du « problème de coordination » pour réaliser cet outil qui capitalise l’évolution de la pandémie ainsi que des actions menées et envisagées.
Cette situation a motivé la décision de la Mission onusienne en Centrafrique (MINUSCA) d’interdire l’entrée des camions de transport en Centrafrique via le Cameroun, alors que le Gouvernement avait déjà suspendu le trafic entre ces deux pays voisins. Suite aux critiques, la MINUSCA a retiré cette note. Cette attitude a été dénoncée par plusieurs observateurs et considérée comme une confusion de pouvoir. Cette sortie a donc montré une carence de coordination et de partage d’informations en temps réel sur la lutte contre cette pandémie. Il est indispensable de vite se rattraper.
Un problème de coordination peut-il impacté négativement sur la lutte contre le coronavirus en Centrafrique ?
Les techniciens soutiennent qu’une mauvaise coordination pourra entraîner une situation de hors contrôle de l’épidémie en Centrafrique. « Si les acteurs humanitaires, avec leurs principes sensés évoluer sous leur coordination habituelle, alors que les comités mis en place doivent valider à des niveaux différents leurs interventions, cela ralentirait l’efficacité de la lutte », a prévenu une source humanitaire.
Sachant que la crise actuelle est sanitaire et humanitaire avec des conséquences sur tous les plans, un comité souple et plus efficace devrait conduire la riposte en se basant sur les dispositifs sanitaires de lutte contre le choléra et l’Ebola déjà en place ainsi que ceux d’intervention humanitaire. Il suffit donc que le Gouvernement redynamise tous ces dispositifs et cela permettra de bien coordonner la lutte actuelle contre cette pandémie.
Gestion des fonds du Covid-19, sources d’inquiétudes
La pandémie du Covid-19 a suscité une mobilisation sans précédent des institutions du pays, des établissements bancaires, des partis politiques, des particuliers et des partenaires traditionnels de la Centrafrique. Mais la gestion de ces fonds soulève beaucoup de suspicions.
Des contributions sont données après l’appel du Président de la République à une mobilisation nationale. Sur les 114 milliards attendus par le Gouvernement, près de la moitié a été enregistré à travers des dons en nature, contributions financières du gouvernement, des membres du gouvernement, des Elus de la Nation, des hommes politiques et personnalités publiques, des entreprises, des institutions bancaires, des partenaires au développement, des agences du système des Nations-Unies…
Pour éviter toute gabegie comme sur d’autres financements passés et exigeant une bonne gouvernance de ce fonds, des voix se sont levées pour réclamer la mise en place d’un organe de gestion afin de garantir la transparence. Cette suspicion a contraint plusieurs personnalités à faire directement leurs dons aux ONG et associations qui luttent contre cette pandémie.
Aussi, des sources bien introduites parlent d’une gestion à deux niveaux: Un niveau géré par les mécanismes standards du Gouvernement et un autre directement par les organisations qui reçoivent ces dons.
Selon une source, l’annonce des fonds faits par des organismes internationaux permettra aux ONG partenaires d’exécuter les projets, le cas de l’Union Européenne dont une partie de ses fonds seront alloués à l’ONG Oxfam pour des actions à Bangui et en province.
Existe-t-il un mécanisme permettant au Gouvernement de capitaliser tous les fonds publics et privés qui entrent dans la ligne de compte pour la lutte contre le Covid-19 ?
Il est encore difficile d’avoir des informations fiables sur cette question. Ce qui est sûr, plusieurs organisations privées mobilisent des fonds mais aussi des initiatives purement privées se créent et l’exécutif devrait être à mesure de capitaliser toutes ces dépenses.
La problématique des frontières et des centrafricains bloqués à l’étranger (Cameroun). Que faire ?
Si les frontières aériennes de la République Centrafricaine ont été fermées depuis mars 2020, à l’exception de quelques vols spéciaux, le trafic entre le pays et son voisin camerounais est une épine dans la gestion de la pandémie. « Avec 19 cas le 23 avril », les chiffres ont vite augmenté au bout de sept (07) jours pour atteindre à ce jour 94 cas positifs. Presque que tout produit provient du Cameroun et la fermeture de la frontière étouffera la RCA qui dépend de son voisin pour l’importation de ses biens de consommation.
Face à cette problématique, il est à saluer la décision du pouvoir de déployer des équipes de sensibilisation et de dépistage au point de passage de Garoua-Boulaï. Les deux pays envisagent déjà de « mettre en place des tests dès le départ du Cameroun, pour n’autoriser que les chauffeurs testés négatifs à pouvoir prendre la route ». Ce test se fera aussi à la frontière et à Bangui et est devenu effectif.
Il devra être élargi aussi aux voyageurs bloqués. Autant, que la présence de l’équipe médicale soit élargie à d’autres points de passage entre la RCA et le Cameroun. Mbaiboum, zone transfrontalière Tchad-République Centrafricaine-Cameroun, ne serait-t-il pas souhaitable de penser à l’ouverture d’un centre de dépistage à Bang ou Ngaoudaye ? Idem pour les limites à Gbiti, sans oublier Mongoumba et une ville limitrophe du Congo Brazza.
Cette pandémie a aussi bloqué plusieurs Centrafricains en déplacement à l’étranger. Le gouvernement avait trouvé mieux de leur demander de rester dans ces pays sans pour autant initier des mesures de suivi et d’accompagnement. Des étudiants, des stagiaires, des agents de l’Etat en mission ne peuvent plus rentrer au bercail à cause des mesures visant la fermeture des frontières alors que le pays ne dispose pas malheureusement de moyens logistiques pour rapatrier ses enfants bloqués à l’étranger.
Dépistage de masse et dangers de prise en charge
L’une des mesures pour limiter la casse est le dépistage de masse pour circonscrire le virus et procéder aux traitements précoces des malades afin d’éviter l’aggravation de leur état de santé, a décidé le gouvernement.
Avec ce projet de dépistage de masse que prône le gouvernement dans un avenir proche, le pays devra s’attendre à la découverte de plusieurs cas, surtout dans la capitale et les villes proches du Cameroun. La question du transfert de cas positifs des villes de provinces vers Bangui reste préoccupante.
Déjà, le 30 avril dernier, cinq cas de Bouar près de la frontière avec le Cameroun ont été testés positifs. D’après nos sources, les malades seraient à Bangui pour leur prise en charge. Dans cette ville, les médecins et agents de santé ont été formés à mener des tests. La décentralisation des tests dans les villes de provinces devrait s’accompagner d’un système fluide dans le transfert des patients à Bangui.
Ne disposant pas d’infrastructures de transports adéquates et n’ayant pas de centres de prise en charge à l’intérieur du pays – peut être en construction – la lutte contre le Covid-19 sera longue mais a besoin que toutes les énergies soient mobilisées. Covid-19 a certes révélé les limites de nos systèmes de santé mais pas notre incapacité à tout reconstruire.
Réhabilitation en 10 jours d’un centre de traitement du covid 19
Au début de la détection des premiers cas, une structure a été créée à l’hôpital de l’Amitié à Bangui pour le traitement des cas du Covid-19. Ce centre ne disposait que d’une quinzaine de lits et est sous-équipé avec juste un seul respirateur.
L’évolution des nouveaux cas est devenue exponentiel ces dernières semaines avec 94 cas confirmés dont 10 guéris et zéro décès lié au coronavirus. Se sont donc 63 cas importés et 31 par transmissions locales parmi lesquelles au moins 5 résidents étrangers à Bangui.
Face à cette hausse, un bâtiment de trois étages du Centre Hospitalier Universitaire de Bangui (CHUB) qui est combinée avec le centre de traitement des épidémies a été inauguré ce 07 mais par le Ministre de la Santé, Pierre Somsé. Ce deuxième centre réhabilité en dix jours a une capacité de « 14 chambres (climatisées et équipées de postes téléviseurs) de 127 lits », a rapporté la page Facebook Diaspora. La réfection du centre a été financée par l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement à hauteur à hauteur de 28 millions de Fcfa.
Sur les 118 malades enregistrés à ce jour, des sources médicales parlent d’isolement à domicile de plusieurs patients et que seuls onze malades seraient pris en charge à l’hôpital. Ces mêmes sources ajoutent que plusieurs patients positifs de nationalité camerounaise ont rebroussé chemin dans leur pays pour se faire soigner. Une information qui reste encore non confirmée par le Ministère de la santé.
Sans pour autant être fataliste, mais par mesure de prévention, n’est-il pas indispensable de penser à la création d’un troisième centre de traitement de la Covid-19 ?
Coronavirus, opportunité de créativité et d’innovation de l’Université de Bangui, du Lycée Technique, …
Dans plusieurs pays, les universités sont en première ligne dans la lutte contre la maladie en proposant des solutions. Non seulement, les étudiants et les enseignants sont des agents de sensibilisation, ils initient aussi des programmes pour lutter contre le Covid-19 s’estimant que c’est une opportunité de développer les compétences théoriques et pédagogiques.
A propos, après des échanges avec des étudiants et cadres de la Faculté des Sciences de l’Université de Bangui, ceux-ci ont confirmé que le gel hydro-alcoolisé peut-être fabriqué localement « mais on n’a pas d’emballages » idem aussi pour le savon qui sont des solutions préventives efficaces. Dans cette optique, il est indispensable que le comité de crise et des départements ministériels envisagent de lancer des appels dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre le Covid-19. Cette démarche a pour enjeu de disposer de propositions pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Elle porte sur la recherche de solutions innovantes : technologique, organisationnel, managérial en RCA et aussi des challenges covid-19.
Pareillement aussi pour d’autres Facultés ou instituts, Lycée Technique, ateliers… il vaut la peine de les encourager à fabriquer des dispositifs de lavage des mains sans toucher le robinet. Des recherches approfondies devraient être menées localement pour en savoir mieux sur le comportement du virus, les conséquences sociologiques, économiques. Les chercheurs en sciences humaines et sociales peuvent être mis à contribution. Il y a des aspects anthropologiques et sociologiques à prendre en considération dans cette crise sanitaire.
Dans ce pays où rares sont ceux qui se lancent dans les recherches, alors que le financement de ce secteur reste soit problématique soit mal géré, la Centrafrique attend tout de l’extérieur pour copier-coller à sa situation même si l’on sait que les contextes ne sont pas les mêmes.
La place des Forces de Défense et de Sécurité dans la lutte contre Covid-19 : Action civilo-militaire
Les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) en plus de leurs missions classiques, apportent leurs expertises au dispositif sanitaire civil dans le combat contre cette pandémie.
Une cellule de crise a été instituée au Ministère de la Défense pour cela. Nantie de ressources humaines de qualité, la Direction Générale du Service de Santé des Armées peut être mise pleinement à contribution en déployant une équipe médicale militaire aux postes frontières (Garoua Boulaye, Mbaïboum, Ngaoudaye, Gbiti, Mongoumba,…). Nul n’est censé ignoré que le personnel de santé militaire est coutumier à exercer dans le chaos avec des infrastructures et des ressources limitées. A cela, les médecins militaires pourront être associés à la recherche. Le Médecin-Colonel, Eudes Gbagbangaï, qui est infectiologue.
Et, si les villes riveraines de l’Oubangui ne sont pas exposées au coronavirus, une attention est néanmoins requise. L’Armée, à travers le Bataillon Amphibie pourra apporter son soutien logistique dans les campagnes de prévention à l’instar de ce qui a été fait lors de l’épidémie du choléra et la menace d’Ebola.
Autre contribution de l’Armée est la fabrication de masque par la MAMICA, bien que la structure ait perdu sa potentialité d’antan elle demeure opérationnelle. C’est ici une opportunité de montrer les enjeux de l’effort de l’Armée dans le développement socio-économique de la Nation.
Notre faiblesse, une opportunité pour nous protéger ?
Si le nombre des malades progresse, des facteurs endogènes et exogènes sont la cause. D’abord, la population ne respecte pas les gestes barrières et la gestion de la maladie à la frontière centrafricano-camerounaise est le point sombre de la lutte. Beaucoup d’actes inciviques ont été répertoriés, notamment des rassemblements spontanés, la fréquentation des bars, … Cependant, la RCA étant un pays pas trop desservi par les compagnies aériennes, cela a été une opportunité de cet Etat enclavé au cœur de l’Afrique de connaître une circulation quasiment nulle du virus.
A côté de la sensibilisation et l’application des quatre piliers recommandés par l’OMS : test de masse, isolement, traitement et suivie des contacts/ personnes exposées, éduquons la population à consommer les aliments qui boostent le système de défense sanitaire. Une autre mesure est de penser au confinement des personnes âgées et à risque.
Covid 19 : Chiffres clés en Centrafrique du 14 mars au 08 mai 2020
Tests réalisés : 4546
Total des cas confirmés : 118
Total des cas importés : 92
Total de transmission locale : 26
Total des patients guéris : 10
Total du décès : 0
Age inférieur des patients : 17 ans
Age supérieur des patients : 88 ans
Par Fleury Venance Agou et Fridolin Ngoulou